Comment une musique écoutée par quelques irréductibles au début des années 90 est devenue LA musique la plus écoutée en France aujourd’hui ?
Actuellement, le rap truste toutes les plus grosses ventes de 2020 et influence toute notre société, la télévision, la culture, la radio. La radio Skyrock a su tirer son épingle du jeu en misant sur cette nouvelle musique et en créant un véritable empire basé sur le rap.
Avec une émission culte qui existe depuis 1996, Planète Rap et la radio Skyrock ont fait et défait des carrières.
Nous verrons dans cet article, comment Skyrock s’est créé une image de marque forte et représentative de tout un mouvement alors qu’au commencement la radio était à l’opposé de ce mouvement. Il suffit juste de lire le nom de cette radio pour comprendre qu’à son début, elle était plutôt orientée vers le rock. Cet article va se découper en trois parties.
Dans la première partie, nous verrons comment Skyrock est née et comment elle a bâti son empire.
Dans la deuxième partie, nous verrons comment ils ont su parfaitement allier opportunisme et business. On verra aussi l’importance de l’engagement des Early Adopters (aussi appelés la fanbase dans certain cas) et pourquoi il ne faut surtout pas les trahir. Le cas Skyrock est un cas d’école. Bien qu’elle soit prédominante sur son marché, un mouvement de contestation est né, créé par les artistes leaders du mouvement.
Enfin dans la dernière partie, nous parlerons de changement de paradigme.
Skyrock a construit un véritable empire dans les années 90 grâce au rap mais sa chute n’en a été que plus violente parce que l’industrie musicale a totalement changé
UNE HISTOIRE DE LIBERTÉ ET DE LOI
Faisons un bref retour vers le passé.
À la suite de la seconde guerre mondiale, le monopole de la radio et de la télédiffusion est mis en place à la libération.
Seul le gouvernement pouvait émettre sur les ondes radio.
Toutes les radios qui émettaient sans leur accord étaient considérées comme des radios pirates.
Le 10 mai 1981, François Mitterrand est élu Président de la République.
Le 9 novembre 1981, il met fin au monopole et décide de libérer les radios.
Le Conseil Supérieur peut maintenant attribuer des fréquences aux différentes radios.
Les radios libres sont nées.
Aujourd’hui, cela nous paraît tout à fait normal mais à l’époque, c’était une réelle révolution.
Le terme de « radio libre » venait des radios pirates qui avaient créé un mouvement dans les années 1970 pour revendiquer la liberté d’expression et la fin du monopole de l’État.
Par la suite, beaucoup de radios ont repris ce terme mais en en changeant le sens.
Une radio libre était devenue ainsi une radio où l’on peut dire ce que l’on veut à l’antenne.
Enfin, ce que l’on veut … Pas vraiment et on verra cela dans la suite de cet article.
NRJ, qui signifie « Nouvelle Radio des Jeunes », Radio Nova, Nostalgie, ou encore La Voix du Lézard, qui plus tard se nommera Skyrock, voient le jour.
Légaliser ces nouvelles radios a éradiqué les radios pirates.
On pourrait même faire un parallèle avec ce qui s’est passé il y a quelques années avec le téléchargement illégal.
Les films et les musiques étaient téléchargeables sur des sites illégaux.
Avec l’avènement des plateformes de vidéo à la demande comme Netflix, toutes ces pratiques se sont arrêtées.
La majorité des consommateurs préférant payer un simple abonnement à dix euros par mois plutôt que de risquer des amendes en faisant du téléchargement illégal, même si à vrai dire, le risque de se faire prendre était quand même réellement très faible.
En 1983, Pierre Bellanger et deux autres associés créent la radio « La Voix du Lézard », qui est initialement axée sur le tourisme. Elle appartient à la société Vortex qui est spécialisée dans le secteur d’activité de l’édition et diffusion de programmes radio.
En 1986, La Voix du Lézard devient Skyrock pour contrer l’essor du leader NRJ.
Skyrock diffuse à l’époque de la musique dance, pop, et rock, d’où son nom.
Les radios concurrentes comme NRJ ou Fun Radio innovent avec des concepts d’émissions très forts.
Par exemple, « Lovin’Fun » sur Fun Radio qui parlait de la sexualité des jeunes ados, avec les fameux Doc et Difool.
Le 1er janvier 1996 va marquer un tournant radical dans l’évolution de cette radio rock.
La loi Toubon, du ministre de la Culture de l’époque, Jacques Toubon, impose aux radios privées de diffuser des quotas de chansons francophones.
Un quota de nouveaux morceaux de moins de 9 mois est également imposé.
C’est déjà les prémices de la musique jetable mais on n’en parlera plus tard dans la partie relative au changement de paradigme. Restez bien au bout de cet article.
En 1995, fraîchement nommé au poste de directeur général des programmes de Skyrock, Laurent Bouneau (qui a intégré La Voix du Lézard en 1984) sent l’opportunité que représente cette loi pour la radio Skyrock.
Skyrock opère un virage à 360 degrés.
Laurent Bouneau décide de miser sur les musiques urbaines, le rap et le R&B, jusque-là très peu jouées sur les ondes.
À noter que Laurent Bouneau a une bonne expérience dans la radio et dans la musique française puisqu’il a aussi dirigé de 2000 à 2010 Chante France, radio parisienne qui programme uniquement de la variété française.
Une des forces d’un bon entrepreneur est de sentir les opportunités.
Au début des années 1990, personne n’aurait pensé que le rap deviendrait la musique la plus écoutée de France des années plus tard, mais Laurent Bouneau y croit.
En se différenciant de la concurrence par sa programmation, cette radio s’apprête à devenir une pierre angulaire de l’édifice du hip-hop français.
En 1997 et 1998, on assiste à une véritable explosion du rap dans le monde.
Aux quatre coins de l’hexagone, des labels se fondent, des équipes se forment et on assiste à la naissance du rap business comme il existe déjà aux États-Unis.
Ces années-là ont été fédératrices.
Elles ont vu l’émergence des pionniers du rap comme IAM et NTM, qui donneront au rap français sa propre identité plus indépendante par rapport au rap américain.
Bien évidemment, il y a une corrélation entre la loi de Jacques Toubon et l’explosion du rap en France. Elle a permis une accélération du mouvement, mais cela ne veut pas dire que sans cette loi, le rap n’aurait pas explosé.
Toute l’équipe de Skyrock a cru en quelque chose qui n’était forcément très séduisant, les ventes restantes très confidentielles à l’époque. Cette musique de voyous, faite par des gars de banlieue, était considérée comme une mode.
Je vous invite à lire l’article qui analyse l’image de marque de Daft Punk qui revient sur ce passage de la musique et qui montre à quel point certains artistes, en allant à contre-courant, sont devenus de réels leaders sur leur marché.
La radio Skyrock devient une véritable marque et l’ambassadeur de la musique rap.
Elle diversifie son catalogue pour proposer plus de produits à consommer par ses auditeurs qui sont de grands consommateurs de musique rap.
Ils en veulent pour leur argent et ils veulent dépenser leur argent.
En 2002, Skyrock est partenaire d’Urban Peace, un grand concert de rap avec les stars du moment, organisé au stade de France devant 40 000 personnes.
Le prix moyen de la place était de 52€75 pour une billeterie à 2 110 000€.
Skyrock renouvellera deux fois l’expérience mais cette fois-ci, en coproduisant l’événement. En 2008, Urban Peace 2 réunit 47 000 personnes et en 2013, Urban Peace 3, 56 000 personnes.
Le prix moyen pour Urban Peace 2 était de 55€50 soit 2 608 000 € de billetterie et en 2013 de 47 € pour 2 632 000 € de billetterie.
On voit à quel point Skyrock renforce son emprise sur cette musique qui est son produit principal. Elle diffuse des artistes rap à la radio, et ensuite elle produit un concert avec ses artistes rap. Mais ce n’est pas tout. Le mensuel « Planète Rap » voit le jour en 2006, Planète rap étant l’émission phare de la radio, qui est présentée depuis toujours par Fred Musa.
Le magazine devient vite numéro un dans la presse spécialisée hip-hop avec plus de 350 000 ventes cumulées.
Skyrock étend encore sa toile.
Les artistes en radio sont interviewés dans le magazine et passe en concert à Urban Peace.
La radio met aussi en place des émissions devenues culte, animées par les leaders du mouvement rap :
Couvre-feu avec Jacky des Neg Marrons, Sky BOOSS animée par Joey Starr, ou encore West Coast LA présentée par Stomy Bugsy.
Skyrock pense à tous les segments de sa cible en proposant des émissions spéciales qui sont diffusées plus tardivement et qui programment du rap moins connu.
De plus, la radio est pionnière dans les réseaux sociaux avec les Skyblog.
Skyrock enregistre des visites record sur son site Skyrock.com qui mettait gratuitement à disposition de ses membres enregistrés un espace Web personnalisé.
Selon l’organisme Comscore, qui mesure les audiences, Skyrock.com était le septième réseau social dans le monde en 2008 avec plus de 21 millions de visiteurs.
Quand on y pense, c’est un peu un Facebook avant l’heure.
Skyrock est incontournable pour la musique rap, que ce soit pour les auditeurs et surtout pour les artistes.
Malheureusement avec l’avènement d’Internet et aussi avec divers problèmes qui étaient déjà présents à la base de la création de cette radio, tout va changer.
Dans les années 2010, les audiences sont en chute libre et en 2011, Pierre Bélanger le fondateur et PDG de la radio, est démis de ses fonctions. L’actionnaire majoritaire décide de vendre la radio. Il aura fallu une mobilisation sans précédent du personnel de la radio, des auditeurs, des artistes et même des hommes politiques pour sauver la radio qui le sera par un rachat de parts. Cette radio très présente chez les jeunes a entraîné une forte mobilisation. C’était également le cas en 1994, avec une énorme manifestation des auditeurs de Fun Radio qui défilaient dans les rues pour faire changer la décision du CSA qui voulait interdire l’émission mythique Lovin’Fun de Doc et Difool
L’histoire de Skyrock est un parfait exemple du schéma de l’innovation dont je vous parle régulièrement dans mes articles. Le contexte la faisabilité et l’idée s’entrecroisent au niveau de la zone de création. L’avènement des radios libres avec la loi Jacques Toubon rend favorable le contexte. L’État (qui libère des fréquences) rend faisable la diffusion de Skyrock. Une radio dédiée à la programmation de la musique rap (de la chanson française), c’est l’idée.
OPPORTUNISME ET BUSINESS
L’important ce n’est pas la chute, c’est l’atterrissage.
Commençons cette partie par un débat qui peut animer toutes vos soirées pendant des heures et des heures.
Le rap est-il devenu une musique commerciale ?
Le terme commercial définit une musique qui aurait été créé avec une recette qui certifie son succès. On a tous entendu l’expression « oui, mais ça, c’est commercial ».
Comme s’il existait une liste d’ingrédients à mettre dans une musique pour être sûre qu’elle fonctionne. Je pense que si les artistes la connaissaient, ils feraient tous ce type de musique. Il ne faut pas oublier que le but d’un artiste est d’être entendu par le plus grand nombre et donc forcément d’augmenter ses ventes. Connaître l’artiste alors que beaucoup de gens n’en ont pas connaissance permet de se l’attribuer. Une fois qu’il est révélé au plus grand nombre, on perd ce lien privilégié.
IAM, célèbre groupe de rap, a été très critiqué pour son morceau « Le Mia », diffusé sur toutes les radios et télés du moment. Il était devenu pour certains « commercial ».
Cet événement les inspira pour écrire le titre « Reste underground ».
Cette définition de « commercial » peut peut-être être attribué à un seul type de musique, les Boys Band. Ces groupes étaient castés pour plaire à chaque type de la population et n’écrivaient ni chanson ni parole. Leur seul talent résidait dans leur plastique.
C’est important de parler de ce concept puisque c’est clairement quelque chose qui va être reproché sans arrêt à Skyrock. La radio est confrontée à un problème d’image de marque et de stratégie de communication qui l’entoure.
Lorsque vous lancez un produit, vous avez clairement deux stratégies devant vous.
La première est de diffuser votre produit à un maximum de personnes.
C’est le cas de Skyrock.
L’autre stratégie est de choisir ses clients avec une plus petite base mais qui est beaucoup plus engagée. En général, cette seconde stratégie est la stratégie employée pour les produits dit plus chers (les produits de luxe).
Pour en savoir plus concernant l’image de marque des produits de luxe et de la stratégie de communication adaptée, je vous invite à lire l’article que j’ai rédigé sur la marque prestigieuse de montres Rolex.
Au début de son ascension, Skyrock jouait le jeu puisqu’elle programmait ce qu’il existait comme type de rap. Puis, elle a produit et diffusé son propre style de musique.
En possédant tout un monopole autour de cette musique, la radio a clairement influencé ce style musical. Elle est passée de simple diffuseur à acteur majeur avec un business à plusieurs 0.
Skyrock transforme un mouvement qui est à la base revendicatif et militant.
Bien que le rap soit devenu un courant scindé en de multiples parties, Skyrock décide de faire de cette musique la nouvelle variété française.
Avec l’arrivée d’Internet et des réseaux sociaux, la manière de consommer de la musique à changer, c’est ce qui explique le changement qu’effectue Skyrock.
On le verra en détail dans la suite de cet article.
L’intérêt de Skyrock pour le rap est avant tout né par opportunisme.
Au commencement, cette radio n’est pas créée par des amoureux du mouvement rap mais plutôt par des hommes d’affaires opportunistes.
D’où le mouvement contestataire qui naîtra dans les années 2010, avec à sa tête plusieurs artistes leaders du mouvement.
Certaines voix s’élèvent devant l’omnipotence du média sur cette musique.
En 2006, le single de la série « Prison Break », interprété par Faf La Rage, « Pas le temps », s’écoule à 378 000 exemplaires. C’est le single le plus vendu de cette année.
Laurent Bouneau, tout puissant, choisi de ne pas programmer le single parce qu’il est passé en premier sur NRJ. Il décidera finalement de le jouer mais bien après toutes les autres radios.
L’artiste déclara :
« Skyrock joue le titre en dernier et presque par obligation car c’est déjà un hit. Je ne suis pas surpris car je sais que Laurent Bouneau et moi, on a eu des différends par le passé. Lui, il doit faire du chiffre, conserver son audience, il n’y a que ça qui compte, alors que moi, j’étais dans l’esprit « c’est ma cause », on fait de la musique ! Puis il a eu des différends avec IAM et s’est braqué contre l’ensemble de Marseille. Donc il dit non à « Pas le temps », pour finir par le jouer en dernier, une fois que tout le monde le jouait. »
Si vous souhaitez lire l’interview entière, je vous invite à cliquer sur l’image ci-dessous.
IAM qui est peut-être le groupe le plus influent de l’époque, 300 000 albums vendus pour un disque de platine en 1997 avec « L’école du micro d’argent » qui est depuis disque de diamant avec plus d’1 million de ventes, se brouille également avec la radio.
Celle-ci se permet de remonter les morceaux pour les diffuser sur son antenne.
Par exemple, elle enlève un couplet ou un refrain si cela ne la satisfait pas.
De plus, le leader d’IAM, Akhenaton, dénonce la dérive de Skyrock qui impose aux artistes d’acheter des espaces publicitaires pour être diffusés sur la station.
Le slogan de Skyrock est « Premier sur le rap » mais Akhenaton dénoncera ce slogan dans une interview « Premier sur le rap ? non. Premier grâce au rap. »
Au début du mouvement, peu de personnes auraient misé dessus.
Il y avait clairement du business à développer mais comme dans toute opportunité, il faut savoir mesurer le risque pour pouvoir investir.
C’est à ce moment précis que la majorité des personnes se rétracte puisque nous sommes naturellement programmés pour ne pas prendre de risques.
Si vous ne prenez pas l’argent qu’il y a devant vous, quelqu’un le prendra à votre place. L’univers déteste le vide, même s’il s’agit de l’univers business.
D’où l’importance d’agir vite et de manière réfléchie.
Les précurseurs du mouvement hip-hop ont laissé à d’autres la primeur de développer ce business.
Des années plus tard, cela commence à changer puisque de grands artistes de la musique rap, créeront leur propre média, comme Booba avec OKLM (fermé depuis) avec un slogan qui parle de lui-même « Par nous, pour nous ».
Critique des principaux artistes, baisse des audiences, concurrence féroce avec Internet, la radio essuie énormément de turbulences qui n’épargnent pas le responsable de la radio.
En 2008, le PDG de Skyrock Pierre Bellanger a été reconnu coupable d’avoir corrompu une mineure avec laquelle il aurait eu une relation en 1999.
Curieusement, de nombreux artistes rap restent silencieux sur le sujet.
Deux arguments expliquent les problèmes que Skyrock subit.
Premièrement, on ne peut pas bâtir un business sur un mensonge.
Comme dit le proverbe, le mensonge prend l’ascenseur tandis que la vérité prend l’escalier.
On peut reconnaître que les créateurs de Skyrock ainsi que Laurent Bouneau ont su saisir l’opportunité en innovant et en créant un véritable empire autour de la marque Skyrock. Malheureusement, ils ne se sont pas entourés de personnes du milieu rap qui auraient pu crédibiliser leur message.
Le second, la marque Skyrock a été entièrement influencée par les résultats financiers.
Avec la manne financière que représente le rap, le magazine, l’organisation de concerts, la radio, les dirigeants de la radio ont voulu influencer ce milieu pour gagner encore plus d’argent.
C’était sans compter avec la pugnacité des fans de cette musique.
Le cycle de l’innovation montre comment se diffuse un produit.
Cela commence toujours par les Early Adopter, les primo-adoptants.Ce sont les clients les plus engagés envers la marque.
Ce sont eux qui vont influencer les autres consommateurs pour acheter votre produit.
En l’occurrence, dans le cas de Skyrock, cette base a été totalement négligée avec les années.
Il y a un autre cas encore plus représentatif de ce phénomène avec le film « Justice League » de Zack Snyder. Les fans du film ont réussi à faire plier un studio de cinéma pour voir adapter à l’écran la vision du réalisateur qui avait été censuré par le studio. J’ai fait une vidéo entièrement sur ce sujet que vous pourrez consulter ci-dessous.
Lorsque vous pensez à votre produit, penser à toujours respecter ce que pensent les primo-adoptants, la base de vos clients.
Skyrock qui était une radio de rap, programme désormais des morceaux beaucoup plus variés comme Aya Nakamura ou Vianney.
On est très loin des revendications du rap des débuts.
Est-ce que c’est le mouvement qui a changé ou la radio qui a fait évoluer sa programmation ? Là est toute la question mais ce qui est certain, c’est qu’aujourd’hui Skyrock doit absolument se renouveler parce que l’industrie de la musique a totalement changé.
CHANGEMENT DE PARADIGME
Un marché est composé de plusieurs entreprises qui proposent différents produits tous créés sur les mêmes spécificités. Ils diffèrent légèrement l’un à l’autre.
En termes de produit pur (on met de côté l’image de marque), si vous achetez des Nike, en gros, c’est la même chose que des Adidas.
Vous achetez un aspirateur Rowenta, en gros, c’est pareil qu’un Dyson… Ah vrai dire, pas vraiment pour ce dernier exemple.
James Dyson a créé un aspirateur très différent de ce qui se faisait sur son marché.
Tous les produits concurrents possédaient des sacs pour pouvoir aspirer la poussière.
Il a analysé sa concurrence en ôtant point par point toutes les composantes des produits de ses clients. Puis en recréant son produit, il a décidé d’en retirer certaines.
Dyson vend aujourd’hui des millions d’exemplaires d’un aspirateur sans sac qu’il fait payer beaucoup plus cher que ses concurrents.
C’est ce qu’on appelle un changement de paradigme.
Elon Musk a fait la même chose avec sa voiture électrique.
Tesla est parti d’une feuille blanche pour créer une voiture complètement différente de ce qui se faisait auparavant.
Une nouvelle fois, les nombreux constructeurs automobiles ne croyaient pas en cette idée et préféraient croire au marché établi.
Et pourtant, après le fordisme, après le toyotisme, c’est l’arrivée d’un nouveau mouvement, le teslisme.
Ils ont tous les deux changé entièrement les paradigmes de leur marché en redéfinissant leur produit.
Les choses établies sont faites pour être changées.
C’est exactement ce qui s’est passé avec l’arrivée des plateformes d’écoute en ligne de musique comme Spotify.
Skyrock a connu une période faste entre 1996 et la fin des années 2010 mais lorsque Internet arrive et concurrence fortement la radio avec de la musique écoutable quand on veut et où on veut, la radio n’a plus l’exclusivité et la réactivité.
Avant, on entendait un titre passé à la radio, on attendait pour pouvoir l’enregistrer sur une cassette.
J’ai passé de longues heures mon doigt juste au-dessus du bouton REC de ma chaîne Hi-Fi.
Aujourd’hui, tout a changé.
Shazam permet d’identifier les titres en deux secondes, et la musique est tout de suite disponible sur Spotify.
En 2008, Skyrock est la radio française la plus écoutée par les 15-24 ans avec plus de 4 millions d’auditeurs par jour. Mais ses auditeurs délaissent de plus en plus la radio pour se tourner vers les plateformes de musique en ligne.
Le pouvoir d’achat des jeunes étant plus faible que celui des plus anciens, et comme les plus jeunes délaissent la radio, Skyrock est dans une position délicate pour vendre ses espaces publicitaires. La radio souhaite séduire un public plus vieux pour attirer des annonceurs.
Avec les réseaux sociaux, les rappeurs sont devenus leurs propres médias.
Certains d’entre eux sont le pur produit d’Internet.
Le rappeur Gambi s’est fait connaître avec une série de clips publiés sur YouTube.
Suite au succès de ses différentes vidéos, il signe un contrat chez Warner.
Skyrock ne détient plus le monopole et l’artiste devient donc plus indépendant.
On assiste à une véritable transformation de l’audience de la radio qui a fait -7 % d’audience en moins de cinq ans.
Là où Skyrock faisait la tendance, elle la subit aujourd’hui.
Il est beaucoup plus facile de suivre ce qui se fait plutôt que d’être innovant.
Le vrai business se fait dans l’innovation, c’est ce qu’on voit dans la courbe du cycle de l’innovation.
Internet et le streaming ont modifié complètement la manière de faire de Skyrock.
Bien que possédant un empire sur son produit, le rap, Skyrock n’a pas vu arriver ce changement incarné par les plateformes de streaming.
D’autres entreprises n’ont pas vu le vent tourner.
Kodak n’a pas cru aux nouveaux appareils photos numériques.
Alors que la société était leader dans les années 80, elle déposera le bilan en 2012.
Nokia paya très fortement son arrogance avec un effondrement total de son business suite à l’arrivée du smartphone sur le marché.
Le nombre total d’utilisateurs de Spotify a augmenté de 27 % pour atteindre 345 millions au cours des trois derniers mois de 2020 dont 155 millions payants, avec un C.A de 7,8 milliards de C.A.
Un changement de paradigme a eu lieu et les acteurs du business de l’ère précédente ont du mal à s’acclimater.
C’est un changement fondamental de l’industrie de la musique.
La musique devient quasiment gratuite et ne rapporte plus rien à l’artiste.
Auparavant, la musique était plus un produit de luxe (entre 15 et 20€ par album), aujourd’hui, tout s’est démocratisé avec des abonnements aux plateformes pour seulement 9€ (avec en plus toute la musique disponible).
C’est devenu un bien plus accessible
Les morceaux deviennent des produits d’appel pour venir voir les artistes en concert.
C’est avec ce type de produit qu’ils margent réellement.
Pour un CD qui était vendu à 17€, l’artiste touchait entre 15 et 20 % du prix hors taxes soit environ 1€ par disque vendu.
En 2019, selon le site « The trichordist », Spotify rémunère les ayants droit à hauteur de 0,0034 $ par écoute.
À chaque évolution, chaque innovation, des entreprises subissent de plein fouet le changement.
On le voit notamment avec la manifestation des taxis contre Uber ou encore avec le mécontentement des hôteliers face à AirBnB.
D’autres cherchent à s’adapter et comme disait, Curtis Jackson : « Get rich or die trying ».
Le calcul des ventes d’albums n’a plus vraiment lieu d’être.
Aujourd’hui, on calcule le nombre de streams.
Avec un calcul assez étrange, on obtient 1000 streams pour une vente.
La répétition de l’écoute crée plus de streams et est jugée plus importante que le nombre d’auditeurs. Le stream est le triomphe de la fanbase qui écoute plusieurs fois le même morceau.
L’industrie de la vente du CD était opaque puisque le fan ne pouvait pas participer. Aujourd’hui, il y a un engagement beaucoup plus fort auprès de la communauté de l’artiste.
Aujourd’hui, le fan a une vue concrète sur l’évolution du succès de son artiste.
Il peut voir en temps réel le nombre de streams sur les morceaux de son artiste préféré et il peut avoir une influence dessus.
Bien évidemment ce changement de paradigme entraîne des dérives.
On assiste également à une démocratisation de la fraude.
Il est possible de rémunérer des personnes qui écoutent en boucle certains morceaux dans des pays émergents. Cela fait monter le nombre de streams et comme l’artiste est mis plus en avant, il sera donc plus recommandé par l’algorithme de Spotify.
RETOUR AUX SOURCES
La radio Skyrock a été préceptrice sur le mouvement rap.
Le contexte lui a permis de profiter de l’opportunité.
En créant un véritable empire autour de cette musique, elle a généré un chiffre d’affaire colossal avec des audiences importantes.
Malheureusement, elle n’a pas vu arriver le tournant numérique des plateformes d’écoute musicale. En y ajoutant des fans qui se sentaient trahis par l’influence que la radio avait sur le rap, cela risque de coûter très cher à Skyrock.
À aucun moment, il ne faut penser que nous sommes arrivés.
Ce n’est pas parce que nous possédons une longueur d’avance sur la concurrence que celle-ci ne va pas non seulement nous rattraper mais aussi nous dépasser.
Et cela sans compter les bouleversements technologiques qui se font de plus en plus rapidement.
Skyrock a été créé à la base, pour une communauté peu nombreuse mais fidèle d’un style de musique peu représenté. Cette communauté s’agrandit au fur et à mesure du temps grâce à la diffusion d’une grande radio.
Malheureusement, elle s’est éloignée de son objectif de démocratisation du mouvement au fur et à mesure du temps.
Aujourd’hui avec l’avènement du stream, le fan est au cœur de l’engagement vis-à-vis de son artiste.
N’oublions jamais que le client est au centre du business.
Skyrock a vécu, Skyrock va-t-elle mourir ?
Dans tous les cas, ce qui est certain, c’est qu’en ne voulant pas faire comme la concurrence, NRJ ou Fun, elle n’est pas devenue un énième clone.
Parce que en devenant l’énième copie d’une copie,
on se transforme en photocopieur.
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